ateliers d'écriture sur le thème de la tenue de travail, menés à Saint-Brieuc en septembre et octobre 2012
(les glaneuses détournées sont de Banksy)

vendredi 19 octobre 2012

En tenue, Atelier 62 de Martine Sonnet



















« Veston de bleu de travail grand ouvert, le plus possible, sur le maillot à côtes un peu taché. Habillé en homme qui n'a jamais froid. Corps qui a capturé le feu de toutes les forges : de la sienne, artisanale et de campagne, à celles, titanesques, de Renault à Billancourt. Un homme réfractaire, comme on dit des matériaux qui gardent la chaleur. Le pantalon consolidé par des pièces d'un ton de bleu que, même en noir et blanc, on devine moins passé... »

Martine Sonnet, Atelier 62

Les chapitres intimes alternent rigoureusement avec d'autres, très documentés et brossés d'une plume sèche, qui retracent l'histoire des forges de Billancourt, au cours des années où Amand Sonnet y travailla. Ainsi, d'un bout à l'autre d'Atelier 62, le portrait d'Amand Sonnet s'inscrit-il dans un tableau plus vaste : l'histoire collective des centaines d'ouvriers qui, comme lui, travaillèrent sur le site, et luttèrent pour d'hypothétiques améliorations de leurs conditions. Comme par un effet d'optique, directement produit par la construction du livre, Martine Sonnet parvient à élargir encore davantage le cadre, pour donner à voir, en réalité, l'histoire contemporaine de la France, de l'immédiat après-guerre aux années 70, telle que la raconte la vie des gens ordinaires. C'est tout ensemble instructif, poignant, et plein de noblesse.

Nathalie Crom, Télérama n°3031

*

Lors de la dernière séance au Conseil général, j'ai eu envie de présenter le travail de Martine Sonnet, en particulier les chapitres 8 et VIII de son premier livre, Atelier 62, paru en 2008 aux éditions Le Temps qu'il fait et qui trace un portrait de son père en croisant, comme le précise son éditeur, mémoire collective et souvenirs familiaux dans un hommage à toute une génération d'ouvriers
Egalement historienne, Martine Sonnet a réalisé à propos de son livre un dossier très complet, que je vous invite à consulter ici : outre des coupures de presse, on y trouve de nombreux liens et quelques uns des documents (photographies, publicités...) qui lui ont servi lors de l'élaboration de l'ouvrage ; documents qu'elle insère parfois directement dans le texte. 


(ci-dessus, un extrait de documentaire consacré aux deux rues avoisinant l'usine de Billancourt)

Les chapitres 8 et VIII sont consacrés aux vêtements : ceux que sa mère, couturière, bâtit ; ceux  de son père, forgeron, tenue de travail qu'elle évoque en citant des articles de L'Echo des métallos et des petites annonces publicitaires pour les magasins spécialisés.
Après en avoir lu des extraits, j'ai proposé aux participants de l'atelier de réfléchir à ce qu'ils pourraient utiliser pour tracer à leur tour le portrait d'un proche en évoquant sa tenue. Quelqu'un qui, comme Amand Sonnet, doit ou devait s'habiller d'une certaine façon pour des raisons précises (sécurité, hygiène, marquer son appartenance à un corps, être immédiatement identifiable, etc).

J'ai également cité le nouveau texte que Martine Sonnet vient de faire paraître chez publie.net, Couturière, fiction que l'on pourrait rapprocher du chapitre 8 d'Atelier 62 et dont on peut trouver le début sur le blog de Brigitte Célérier

Tenue d'avant


"Où est ma chemise noire aux manches bouffantes", entendais-je crier mon père, depuis la grange du fond, avec de la terre battue et une immense cheminée. "Mon écharpe rouge est-elle sur le cintre ?"

Le trac et le stress se ressentaient dans la maison. Le spectacle approchant, la nervosité de mon père faisait trembler les murs et le fer à repasser.

J'adorai repasser les chemises de mon père, cela était, à mon sens, l'unique lien entre nous, lien par ce fil du fer à repasser, la vapeur comme des pensées qui se volatilisent, l'eau s'échappant du réservoir comme mon enfance, envolée. Mais je détestais repasser celle-là, bien trop difficile avec ses plis, sa dureté du tissage, sa rudesse.

Cette chemise noire aux manches bouffantes donnait à mon père une aura hors du commun. Telle une cape, l'enveloppant dans son monde irréel, inaccessible, un monde utopique, un rêve lointain, dégageant des mots, des mélodies, des sons et des paroles libres, dures, fortes devant un public attentif. Son écharpe rouge, telle une écharpe d'enfant, douce, délicate, donnant envie de la toucher, de la glisser sur son cou, de la caresser. Elle apportait une légèreté, une fantaisie incongrue sur cette chemise noire aux manches bouffantes.

Telle une chauve-souris, prêt à prendre son envol dans sa chemise, mon père entamait son récital. Assise dans la salle, je contemplais mon père, les yeux éblouis, envieuse de son statut, de sa position là, d'être sur scène, devant un public, devant son élan, à mon tour, prête à fredonner avec lui ses chansons.

Depuis, à chaque anniversaire de mon père, je suis à la recherche d'une chemise semblable, dans chaque région que je visite au fil de mes vacances d'été. De petites boutiques en petits bazars, je fouille, je farfouille, comme une enfant, haletante de trouver le trésor. J'en ai trouvé une, une seule fois, telle une merveille, avec des boutons en bois, noire aux manches bouffantes, et je l'ai fait enveloppée dans du papier de soie. Je la trouvais magnifique, aussi fragile que moi à ce moment.  

Naïs

mercredi 17 octobre 2012

En tenue...

C'était l'autorité même ce maître d'école avec sa blouse grise et sa chemise à carreaux en dessous, ça ne donnait pas envie de le chahuter. C'était le savoir sur patte et comment faire plaisir à ses parents si ce n'est avoir de bonnes notes à l'école pour prétendre plus tard avoir une meilleure situation professionnelle que celle de ses parents.
Et surtout ne pas se faire remarquer en négatif, ne pas leur faire honte.
Nous aussi élèves nous avions une tenue imposée pour aller en cours, la blouse de la rentrée nouvelle chaque année, le maître et nous faisions sûrement nos achats au même endroit.


Chez Rozenn

Fabricant de blouses et vêtements de travail

Blouses de laborantin
Blouse de vacher
Blouse de femme
Blouse d'homme

Bleu
Blanc
Noir
  Marine


ZONE COMMERCIALE LAMBALLE

En tenue...

Maîtresse femme consommée paysanne avertie combien de marches et quels moyens lui restaient-ils pour accéder à l'état d'homme, être reconnue comme tel.
Quels stratagèmes, quels usages.
Le seul qui lui parut acceptable était de leur ravir la fonction de porcher, il y a de cela pas loin d'un siècle.
Une spécificité d'hommes qu'ils n'aimaient pas vraiment et accomplissaient à contre-coeur. La mise à la reproduction des cochons. 
C'est par son accoutrement qu'elle manifesta cette volonté, le "bonnet russe" foulard noué aux quatre coins sur ses cheveux.
Et puis la série des tabliers, celui de tous les jours qu'elle conservait du matin au soir était recouvert d'un plus âgé pour aller (...).
A sa descente aux soues à cochons elle revêtait sa "floupe", sorte de grand manteau sale sans couleur à l'odeur nauséabonde. Elle glissait ses pieds dans d'anciens sabots de caoutchouc rouges, usés au talon et remplis de paille. 
Avant d'entrer dans la cour avec les bêtes, elle mettait devant elle, ultime protection, le tablier de "Guano" en fait un sac de jute plié au milieu et dans lequel était passée une ficelle.
Alors seulement elle entrait au milieu de ses bêtes, bardée de l'apparence surtout visuelle et olfactive d'être devenue un véritable porcher. 
Personne ne lui disputerait cet état. 

Le Chapelin

Au bureau...

Je me revois, le soir, alors qu'il se fait tard. La lune éclaire un bout de ciel noir, comme la lumière qui scintille dans les pièces des maisons voisines. Je ne dors pas, j'écris mes tourments.
Je me revois à d'autres moments, marchant dans la neige. Les flocons légers me ramènent à une pure beauté.  J'aimerais revivre cet instant.
Je marcherais alors pieds nus pour que la neige se colle à ma peau, et que mon corps frissonne tout entier par elle.
Je me revois encore, à demi éveillé, me laissant aller hors du lit, happé par les cloches qui sonnent le réveil. Il fait encore nuit. Les étoiles brillent dans le ciel de l'hiver. Je dois me préparer, mon travail qui m'attend me demande un effort. J'aimerais cependant me dire que ce n'est pas fini, au contraire, j'aimerais avec enthousiasme me dire qu'une belle journée m'attend, je serais heureux de m'y rendre, chantonnant. 
Je me revois encore le dimanche après-midi, abattu par le repas trop riche et une semaine chargée d'un travail trop dur. Je me suis laissé aller à mes rêveries, seul dans mon appartement, mon canapé me supporte depuis tant d'années. 
J'aimerais alors me dire qu'il y en avait plein d'autres, de ces dimanches, à refaire ma vie en rêveries éveillées. 
Et que tous ces hommes m'entendent et me voient, clamant mon innocence.
Non, je ne l'ai pas tué cet homme, je vous l'assure, je suis innocent, ce n'est pas vrai.
Hélas, je ne me mettrai plus à ma fenêtre, humant l'air frais et les parfums du dehors, du blé fraîchement coupé, des rayons de soleil inclinés et les ombres des arbres portées sur la terre pourpre...

Joëlle

Au bureau...


Je suis seul, las, devant ma table à plancher, perdu dans des étoiles que je n'atteindrai jamais. Je suis seul, là, enchaîné à ce pupitre dont je voudrais m'extraire et la lune me toise avec ironie, comme pour me sermonner : Qu'attends-tu me dit-elle?

J'arrache mon armure et je sors de ce lieu. Je piétine l'asphalte, écrase tout ce que je peux, la rage, la hargne, je ne m'arrête plus jusqu'à être exténué – pause.
J'arrive chez moi, je ne comprends pas pourquoi? J'entre, me vautre, m'affale – tout oublier – jusqu'à demain…

Marre de me taire ; je veux que l'on m'entende. J'aimerais haranguer la foule et l'emmener avec moi, la dominer, la porter vers l'absence de contrôle, violence, agression, acharnement – Non, trop simple – réveille toi!

Je me suis assoupi, j'ai cru à mes folies mais le ciel est toujours là, noir et lugubre, sans au-delà, quel idiot je fais – saute la fenêtre et laisse filer tes pas – je vole, je franchis, je traverse, je rêve, éveillé…

Je marche, toujours, à n'en plus finir, dans un espace sans fonds. Je me perds – j'oublie mais je profite – le silence – la solitude – la liberté…

Pauvre de toi, ouvre les yeux. Je les ouvre et je regarde – rien, mais rien ne se dégage. Beau rêveur, retourne à ton labeur et pousse ton roc. Je réfléchis, encore, encore, encore et je suis seul, devant ma fenêtre, à flancher…

Arnaud Vigneron

vendredi 12 octobre 2012

Au bureau, séance d'après un recueil de poèmes de Robert Walser


















Disparus, pour un temps, la modernité des open spaces, les transports en commun, l'informatique...
Cette semaine, au lycée Jean Moulin, au Conseil général comme à la médiathèque de Plérin, où je me suis rendue pour une séance, tout le monde s'est retrouvé en 1909, dans la peau d'un Robert Walser de vingt ans, commis de bureau, attablé sous l'oeil de son chef et se grattant le cou. 

Comment s'évader, mentalement, tout en restant assis sur sa chaise ? Par quelles contorsions peut-on se retrouver ailleurs, dans un champ de neige, un lit ou devant une foule à laquelle, soudain, on s'adresse ? 
En s'appuyant sur quelques unes des gravures de Karl Walser, frère de Robert, illustrant le recueil de poèmes Au bureau, j'ai demandé aux participants d'écrire un texte à la première personne dans lequel le commis, qui s'ennuie, réussit à prendre la tangente tout en demeurant immobile. Quels rêves, désirs et souvenirs peuvent bien animer celui qui ne peut pas bouger, prisonnier de sa chaise comme du jugement d'autrui ?

On sait que Robert Walser commença à travailler à 14 ans et dut, dans sa jeunesse, exercer de nombreux métiers alimentaires pour pouvoir écrire. A ce propos, Charles Méla, directeur de la fondation Martin Bodmer, qui accueillit une exposition sur Walser en 2006, Territoire du crayon, écrit :

(...) lui, le poète, "prolétaire, aimerait-on dire", n'est pas broyé, il s'arrange plutôt de cette double vie, il tire son épingle du jeu de cette division, il est le laquais, le domestique, le commis, mais qui s'évade aussi bien, muse et musarde dans l'intervalle des moments où il est voué consciencieusement à la tâche de servir. Bref, il garde sa liberté de mouvement dans une existence de contraintes. Ainsi résume-t-il son humble vie, qui se partage entre un quotidien bureaucratique et l'école buissonnière, se composant à la fois "de travail de bureau et de paysage, d'air libre et de prison, de liberté et d'entraves, de strict accomplissement du devoir et d'agréables flâneries, promenades et vagabondages rouges, bleus ou verts".

Le texte des participants a été écrit partir de six gravures à disposer dans l'ordre qu'ils voulaient - sauf pour la première et la dernière, imposées.