ateliers d'écriture sur le thème de la tenue de travail, menés à Saint-Brieuc en septembre et octobre 2012
(les glaneuses détournées sont de Banksy)

vendredi 19 octobre 2012

Tenue d'avant


"Où est ma chemise noire aux manches bouffantes", entendais-je crier mon père, depuis la grange du fond, avec de la terre battue et une immense cheminée. "Mon écharpe rouge est-elle sur le cintre ?"

Le trac et le stress se ressentaient dans la maison. Le spectacle approchant, la nervosité de mon père faisait trembler les murs et le fer à repasser.

J'adorai repasser les chemises de mon père, cela était, à mon sens, l'unique lien entre nous, lien par ce fil du fer à repasser, la vapeur comme des pensées qui se volatilisent, l'eau s'échappant du réservoir comme mon enfance, envolée. Mais je détestais repasser celle-là, bien trop difficile avec ses plis, sa dureté du tissage, sa rudesse.

Cette chemise noire aux manches bouffantes donnait à mon père une aura hors du commun. Telle une cape, l'enveloppant dans son monde irréel, inaccessible, un monde utopique, un rêve lointain, dégageant des mots, des mélodies, des sons et des paroles libres, dures, fortes devant un public attentif. Son écharpe rouge, telle une écharpe d'enfant, douce, délicate, donnant envie de la toucher, de la glisser sur son cou, de la caresser. Elle apportait une légèreté, une fantaisie incongrue sur cette chemise noire aux manches bouffantes.

Telle une chauve-souris, prêt à prendre son envol dans sa chemise, mon père entamait son récital. Assise dans la salle, je contemplais mon père, les yeux éblouis, envieuse de son statut, de sa position là, d'être sur scène, devant un public, devant son élan, à mon tour, prête à fredonner avec lui ses chansons.

Depuis, à chaque anniversaire de mon père, je suis à la recherche d'une chemise semblable, dans chaque région que je visite au fil de mes vacances d'été. De petites boutiques en petits bazars, je fouille, je farfouille, comme une enfant, haletante de trouver le trésor. J'en ai trouvé une, une seule fois, telle une merveille, avec des boutons en bois, noire aux manches bouffantes, et je l'ai fait enveloppée dans du papier de soie. Je la trouvais magnifique, aussi fragile que moi à ce moment.  

Naïs

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